17/02/2020 11:02:49 – Le Paradis Reconquis#
Il vit alors approcher un homme déjà avancé en âge et couvert de vêtements champêtres ; cet homme semblait suivre les traces de quelques brebis égarées, tout en recueillant quelques branches de bois sec, afin d'avoir de quoi se réchauffer dans un jour d'hivers, quand le vent souffle avec violence, lorsqu'il serait rentré mouillé dans son logis. Après avoir considéré Jésus d'un œil curieux, il lui adressa ces paroles :
Seigneur, quel fâcheux accident t'a amené dans ce lieu si écarté des chemins que suivent les voyageurs qui marchent en troupes nombreuses! Aucun de ceux qui s'aventurent en troupe nombreuse! Aucun de ceux qui s'aventurent seuls dans ces déserts n'en revient ; il n'est personne qui n'y laisse ses os, après avoir succombé aux tourments de la faim ou de la soif. Ce qui redouble ma curiosité et ma surprise, c'est qu'il me semble reconnaître en toi le personnage que naguère notre nouveau prophète, qui baptise sur les bords du Jourdain, a reçu avec tant de respect et qu'il a appelé le Fils de Dieu. J'en ai été témoin; car nous autres habitants de ce désert, la nécessité nous contraint quelquefois de nous rendre à la ville ou aux villages voisins, dont le plus proche est bien loin d'ici, et de la sorte, nous avons l'occasion d'apprendre ce qui est arrivé de nouveau et de satisfaire notre curiosité. C'est ainsi que la renommée en parvient jusqu'à nous.
Le Fils de Dieu lui répondit : Celui qui m'a amené ici m'en ramènera ; je ne cherche point d'autre guide.
05/02/2020 14:00:11 – Don Quichotte de la Manche#
Les chevaliers errants, Sancho, reprit don Quichotte, savaient et doivent savoir de tout ; et tel d’entre eux, dans les siècles passés, s’arrêtait à faire un sermon au milieu du grand chemin, comme s’il eût pris ses licences à l’université de Paris. Tant il est vrai que jamais l’épée n’émoussa la plume, ni la plume l’épée.
[...]
« Insigne chevalier et jamais dignement loué don Quichotte de la Manche, je suis le chevalier de la Blanche-Lune, dont les prouesses inouïes t’auront sans doute rappelé le nom à la mémoire. Je viens me mesurer avec toi et faire l’épreuve de tes forces, avec l’intention de te faire reconnaître et confesser que ma dame, quelle qu’elle soit, est incomparablement plus belle que ta Dulcinée du Toboso. Si tu confesses d’emblée cette vérité, tu éviteras la mort, et moi la peine que je prendrais à te la donner. Si nous combattons, et si je suis vainqueur, je ne veux qu’une satisfaction : c’est que, déposant les armes, et t’abstenant de chercher les aventures, tu te retires dans ton village pour le temps d’une année, pendant laquelle tu vivras, sans mettre l’épée à la main, en paix et en repos, car ainsi l’exigent le soin de ta fortune et le salut de ton âme. Si je suis vaincu, ma tête restera à ta merci, mes armes et mon cheval seront tes dépouilles, et la renommée de mes exploits s’ajoutera à la renommée des tiens. Vois ce qui te convient le mieux, et réponds-moi sur-le-champ, car je n’ai que le jour d’aujourd’hui pour expédier cette affaire. »
31/01/2020 13:13:22 – Le Paradis Perdu#
" O toi qui, couronné d'une gloire incomparable, regardes du haut de ton empire solitaire comme le Dieu de ce monde nouveau ! toi à la vue duquel toutes les étoiles cachent leur tête amoindrie, je crie vers toi, mais non avec une voix amie ; je ne prononce ton nom, soleil ! que pour te dire combien je hais tes rayons. Ils me rappellent l'état dont je suis tombé, et combien autrefois je m'élevais glorieusement au−dessus de ta sphère.
" L'orgueil et l'ambition m'ont précipité ; j'ai fait la guerre dans le Ciel au roi du Ciel, qui n'a point d'égal. Ah ! pourquoi ? il ne méritait pas de moi un pareil retour, lui qui m'avait créé ce que j'étais dans un rang éminent ; il ne me reprochait aucun de ses bienfaits, son service n'avait rien de rude. Que pouvais−je faire de moins que de lui offrir des louanges, hommage si facile ! que de lui rendre des actions de grâces ? combien elles lui étaient dues ! Cependant toute sa bonté n'a opéré en moi que le mal, n'a produit que la malice. Elevé si haut, j'ai dédaigné la sujétion ; j'ai pensé qu'un degré plus haut je deviendrais le Très−Haut ; que dans un moment j'acquitterais la dette immense d'une reconnaissance éternelle, dette si lourde ; toujours payer, toujours devoir. J'oubliais ce que je recevais toujours de lui ; je ne compris pas qu'un esprit reconnaissant, en devant ne doit pas, mais qu'il paye sans cesse, à la fois endetté et acquitté.
Etait−ce donc là un fardeau ? Oh ! que son puissant destin ne me créa−t−il un ange inférieur ! je serais encore heureux ; une espérance sans bornes n'eût pas fait naître l'ambition. Cependant, pourquoi non ? quelque autre pouvoir aussi grand aurait pu aspirer au trône et m'aurait, malgré mon peu de valeur, entraîné dans son parti. Mais d'autres pouvoirs aussi grands ne sont pas tombés ; ils sont restés inébranlables, armés au dedans et au dehors contre toute tentation. N'avais−tu pas la même volonté libre, et la même force pour résister ? Tu l'avais : qui donc et quoi donc pourrais−tu accuser, si ce n'est le libre amour du Ciel qui agit également envers tous ?
" Qu'il soit donc maudit, cet amour, puisque l'amour ou la haine, pour moi semblables, m'apportent l'éternel malheur ! Non ! sois maudit toi−même, puisque, par ta volonté contraire à celle de Dieu, tu as choisi librement ce dont tu te repens si justement aujourd'hui !
" Ah ! moi, misérable ! par quel chemin fuir la colère infinie et l'infini désespoir ? Par quelque chemin que je fuie, il aboutit à l'Enfer ; moi−même je suis l'Enfer ; dans l'abîme le plus profond est au dedans de moi un plus profond abîme qui, large ouvert, menace sans cesse de me dévorer ; auprès de ce gouffre l'Enfer où je souffre semble le Ciel.
[...]
" Oh ! quelle misère après quelle félicité ! Est−ce donc la fin de ce monde glorieux et nouveau ? Et moi, si récemment la gloire de cette gloire, suis−je devenu à présent maudit, de béni que j'étais ? Cachez−moi de la face de Dieu, dont la vue était alors le comble du bonheur ! Encore si c'était là que devait s'arrêter l'infortune : je l'ai méritée et je supporterais mes propres démérites ; mais ceci ne servirait à rien, Tout ce que je mange ou bois, tout ce que j'engendrerai est une malédiction propagée. O parole ouïe jadis avec délices :
Croissez et multipliez ! aujourd'hui mortelle à entendre ! Car que puis−je faire croître et multiplier, si ce n'est des malédictions sur ma tête ? Qui, dans les âges à venir, sentant les maux par moi répandus sur lui, ne maudira pas ma tête ? − "Périsse notre impur ancêtre! Ainsi nous te remercions, Adam ! " – Et ces remerciements seront une exécration!
Le Paradis Perdu
–– John Milton (1608 - 1674)
22/01/2020 22:30:30 – Votre affreuse larve rampante s’est cachée sous le masque d’un dieu#
Ayez donc tout d’abord le courage d’avoir foi en vous-mêmes — en vous-mêmes et en vos entrailles ! Celui qui n’a pas foi en lui-même ment toujours.
Vous avez mis devant vous le masque d’un dieu, hommes « purs » : votre affreuse larve rampante s’est cachée sous le masque d’un dieu.
En vérité, vous en faites accroire, « contemplatifs » ! Zarathoustra, lui aussi, a été dupe de vos peaux divines ; il n’a pas deviné quels serpents remplissaient cette peau.
Dans vos jeux, je croyais voir jouer l’âme d’un dieu, hommes qui cherchez la connaissance pure ! Je ne connaissais pas de meilleur art que vos artifices !
La distance qui me séparait de vous me cachait des immondices de serpent et de mauvaises odeurs : et je ne savais pas que la ruse d’un lézard rôdât par ici, lascive.
Mais je me suis approché de vous : alors le jour m’est venu — et maintenant il vient pour vous, — les amours de la lune sont leur déclin !
Regardez-la donc ! Elle est là-haut, surprise et pâle — devant l’aurore !
Ainsi parlait Zarathoustra
–– Friedrich Nietzsche (1844 - 1900)
13/01/2020 13:54:43 – Sur l'utilitarisme#
La mode de l'utilitarisme que certains semblent adopter, n'est en réalité qu'une nouvelle morale déguisée, qu'on cherche à nous imposer. Celle de la bien-pensance.
L'idée selon laquelle, tout être humain chercherait à maximiser le bonheur général. Ou bien, s'il ne le cherche pas, le devrait dans ce cas.
Elle ressemble beaucoup au fameux impératif catégorique de Kant:
Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.
–– Emmanuel Kant (1724-1804)
Il suffit pour cela, de la modifier légèrement:
Agis uniquement d’après la maxime qui prescrit d'agir (ou de ne pas agir) de manière à maximiser le bien-être collectif.
Ce qui amène à la conclusion suivante:
Du point de vue d'un utilitariste, "la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle" = "agir (ou de ne pas agir) de manière à maximiser le bien-être collectif". Maxime que l'on peut donc qualifier, selon Kant, de morale.
Ce qui suppose par défaut, qu'il serait dans notre désire de souhaiter maximiser le bien-être collectif.
Or, à part par impératif moral, pour quelle raison devrions-nous chercher une telle chose?
Si on souhaites agir par dogmatisme, en pensant, parce qu'on nous l'a appris, que le bonheur du groupe passe avant le sien. Chacun est libre de renoncer à sa liberté de penser et à son bonheur individuel.
On peut également se dire, qu'on ne désir que bonheur général qu'au profit de son propre bonheur individuel. Par égoïsme donc. Dans ce cas, on est utilitariste, que tant que cela nous arrange, et donc pas utilitaristes du tout.
On peut enfin se dire, que le bonheur des autres nous importe peu. Surtout si celui-ci provoque notre malheur. Quel serait l'intérêt de cette vie, si on devait la passer à souffrir, pour que d'autres en profitent plus que nous?
Ne serait-ce pas dans son propre intérêt de ne pas être utilitariste et au contraire, de privilégier son propre bonheur?
Attention toutefois. Privilégier son bonheur, ne pas non-plus de privilégier le malheur des autres. En effet, on peut trouver très agréable de faire plaisir à ses proches et à ceux qui nous sont chères. Et donc souhaiter leur bonheur, pour la richesse des émotions que nous apportent ces relations. Il s'agit bien d'égoïsme, mais d'un égoïsme gagnant-gagnant.
La question est de se demander, quel est son désir, et non pas de suivre aveuglément, une nouvelle doctrine, sous prétexte que celle-ci serait à la mode, sans se poser de questions sur sa nature. Même s'il est probable que la plupart des personnes s'affirmant utilitaristes, font en réalité une démonstration de leur vertu, servant uniquement à prouver leur supériorité morale sur ceux qui ne suivraient pas leur exemple. Accepter que de telles personnes nous dictent notre conduite et notre manière de penser, c'est accepter qu'ils deviennent maîtres de nos esprits, qu'on culpabilise de nos désirs et de notre égoïsme, qu'on devienne alors leur esclave...
Cependant, est-il légitime d'éprouver de la honte pour ce que nous sommes? Devrait-on culpabiliser de nos désirs, sous prétexte qu'un autre se prétende supérieur à nous, sous seul prétexte de bien-pensance?
09/01/2020 15:49:13 – Morale#
Qu'est-ce que la morale? Un outil de contrôle.
L'instrument inventé par les puissants, afin de culpabiliser les faibles, de peur qu'ils ne s'élèvent eux aussi.
Ceux-là même qui ne suivent ces règles, que lorsque cela les arrange. Mais qui, lorsqu'un autre enfreint leurs lois, les nomment: criminels immoraux.
Celui qui vit selon la morale d'un autre, se soumet à lui.
Morale d'esclave, morale de pauvre, morale de faible. Tout ceci est synonyme finalement.
Lorsqu'un faible dit: "Moi, je suis bon."
Le fort entend: "Un bon esclave."
Se libérer de ce carcan n'est pas aisé, surtout lorsqu'on a passé sa vie à le porter.
On ne peut imaginer de s'en séparer, ni ce que serait la vie sans celui-ci.
Celui qui veut devenir fort, devra dépasser cet endoctrinement, afin de devenir ce qui il est réellement.
S'il ne devait suivre que deux règles, ce serait:
– Fais ce que tu veux.
– Ne te nuis pas à toi-même.
Tout le reste n'est que morale de faible.
Ce qui ne tue pas, rend plus fort.
–– Friedrich Nietzsche (1844 - 1900)